Biscarrosse (40) : une maman priée d'aller allaiter ailleurs
Hier, une maman qui allaitait sa fille dans un magasin, a été priée par la commerçante de le faire dans la réserve ou dehors. La mère de famille va porter plainte.
L’allaitement se fait en général en toute discrétion. (Photo d’illustration archives Loïc Dequier)
On a beau être biberonné aux images osées, traverser des temps où les corps s’embarrassent peu de textile, l’allaitement dérangerait encore. C’est en tout cas le ressenti de Laëtitia, une habitante de Parentis-en-Born. Hier, cette mère de trois enfants, 41 ans et la conviction de « savoir quand même se tenir », s’est sentie « vexée et humiliée », après avoir essuyé les remarques d’une commerçante de Biscarrosse, alors qu’elle était en train d’allaiter sa fille de 20 mois dans le magasin. « La responsable est venue me voir et m’a dit : “Madame, soit vous allaitez dans la réserve, soit vous quittez le magasin. Vous choquez les clients. “ J’étais embêtée, par rapport aux cinq ou six clients qui se trouvaient là. Je me suis excusée auprès d’eux. Mais un monsieur m’a dit que je ne devais pas être gênée, que sa femme allaitait elle aussi, et que c’était plutôt à la commerçante de s’excuser. Je ne me suis jamais exhibée. Ça m’a un peu soulagée. »
Pour autant, Laëtitia a l’impression d’avoir été « prise en faute », de s’être rendue « coupable » d’une pratique qui n’est pas interdite par la loi française.
« Je ne me suis pas exhibée, souligne la maman. J’étais en jean, je portais un pull avec un col en V pour pouvoir allaiter mon enfant discrètement, comme je l’ai fait avec mes deux autres enfants. À l’époque, je tirais même mon lait à l’aide d’un appareil électrique et toujours en toute discrétion. Je l’ai même fait dans un restaurant et je n’ai eu aucune remarque. À aucun moment on ne m’a dit d’aller le faire dans les toilettes. Je ne comprends pas les mentalités. Je suis vraiment vexée et blessée par ce qui s’est passé. En plus, aucune loi n’interdit l’allaitement en public. »
Laëtitia s’est rapprochée hier de la Leche League France, association qui conseille et soutient les mamans qui ont choisi l’allaitement.
« Je me suis rendu compte que je n’étais pas la seule dans ce cas. Apparemment, il y a une augmentation de ces mamans qui en ont marre de se faire mettre dehors. A la permanence, on m’a dit que si je me sentais les épaules assez larges, je devais porter plainte. Parce qu’il faut que cela cesse. Moi, je m’en sens capable. Je ne vais pas baisser la garde. Je vais le faire au nom de toutes les mamans et au nom de mon enfant. »
Cet épisode surprend Sylvie Ricochon, la présidente nationale de Leche League, basée à Dax. « La plupart du temps, les gens sont bienveillants. Mais le même genre d’histoire est tout de même arrivé il y a deux ou trois mois de cela à Montpellier et au Danemark. C’est ridicule. Je ne comprends pas. De toute façon, la loi est du côté des mamans qui allaitent. À partir de là, on ne peut que déplorer ce qui s’est passé. J’ai allaité mes quatre enfants discrètement. Il faut avoir l’œil pour remarquer que la mère allaite. Cela m’est arrivé de le faire à la caisse d’un supermarché, les gens pensaient que mon bébé me faisait un câlin. On devrait se bagarrer sur d’autres sujets que celui-là. On marche sur la tête : allaiter est naturel. Les seins sont faits pour cela... »
En attendant, Laëtitia va porter plainte en envoyant prochainement un courrier avec accusé de réception au procureur de la République. « J’appelle ça de la bêtise, reprend-elle. On promeut l’allaitement partout : on dit qu’il faut le faire, que l’OMS - organisation mondiale de la santé, NDLR - le préconise jusqu’à l’âge de 2 ans. Mais il faudrait être chez soi, prisonnière à la maison, avec son bébé. »
Laëtitia s’apprête également à prendre contact avec Martine Herzog-Evans, avocate spécialiste de la question, professeur d’université à Reims, qui alimente d’ailleurs un blog sur Internet, dédié au droit et à l’allaitement. Elle y rappelle le droit applicable en la matière.
« Sur le plan juridique, les choses sont simples, y écrit-elle : il n’existe plus, en droit français, depuis 1994, d’attentat à la pudeur. Seules sont justiciables d’une sanction pénale les « exhibitions sexuelles » imposées à la vue d’autrui, ce qui renvoie nécessairement à des actes de nature sexuelle et non seulement impudique. (...) L’allaitement n’étant bien évidemment pas de nature sexuelle, et n’étant le plus souvent pas imposé à la vue d’autrui (la plupart des femmes qui allaitent « en public » - terminologie d’ailleurs totalement impropre - étant le plus discrètes possible) il manque les deux éléments constitutifs de l’article 222-32 du Code pénal. Aucune sanction n’est possible. »
http://www.sudouest.fr/2013/08/31/ce-sein-que-l-on-ne-saurait-voir-1155102-3307.php